lundi 10 juin 2013

Jeux de dames à Monte-Carlo, de Bernard Spindler


Monaco, 1840. A l'aube de cette Epoque qu'on dit Belle (de façon assez paradoxale d'ailleurs), la France de Louis-Philippe, du moins celle "d'en-bas" entend sourdre le vent de la révolte : les pauvres ne se dépatouillent pas de la misère qui leur collent aux semelles, les rues sont sales, la nourriture fait défaut. Il en va tout autrement pour la bourgeoisie qui s'ébat joyeusement dans les eaux claires de la Méditerranée : les riches prennent les bains pendant que les pauvres prennent l'eau.

Sur le Rocher, à quelques encâblures de Nice, Florestan Ier accède au trône de la Principauté à la mort de son frère le Prince Honoré V. L'ilot est caillouteux, sec, désolé, mais déjà tranquille et mignonnet, il y fait doux vivre. Le souverain est épaulé dans ses nouvelles fonctions par son épouse Caroline,  qui devient de fait la (première) Princesse Caroline. Une Princesse de Monaco énergique et pugnace, qui entend bien faire de cette petite Principauté un haut lieu de villégiature pour milliardaires et léguer à son fils Charles non plus un petit rocher mais un caillou "gros comme le Ritz".

Et ces deux-là s'entendent  pour faire bâtir un luxueux casino ainsi qu'une "Société des Bains de mer" : coûteux, très coûteux projets, qui verront toutefois le jour après de longues années tractations de politiques et budgéraires afin de trouver fonds nécessaires, architectes, main d'oeuvre etc...

Malgré les péripéties et l'inconfort d'un voyage incommode depuis Nice (le chemin de fer n'a pas encore vu le jour en Principauté), déjà quelques riches Russes affluent en la cité monégasque afin de profiter des douceurs du climat. Les maisons de jeu commencent à éclore. Quelques têtes couronnées y séjournent également, mais tout reste encore à faire pour bâtir la Cité-Empire du luxe, du jeu, du farniente (plans d'urbanisme et aménagements, constructions de prestigieux hôtels et du chemin de fer, eau, gaz à acheminer entre autres agencements), l'ambition est démesurée et les coûts pharaoniques : ils seront supportés par le richissime homme d'affaires Blanc, tandis que sa jeune épouse Marie, une intriguante à la poigne de fer et résolue à graver son nom dans la pierre monégasque se charge de transformer ce gros caillou hostile en un havre de faste et d'insouciance, puisant sans compter dans l'escarcelle - extrêmement bien fournie - de son époux. 

Dès 1863, l'opiniâtreté de ces deux-là faire émerger le futur Monte-Carlo. Mais, au-delà de la cité monégasque, et plus exactement en Prusse, la guerre gronde et menace. Qu'importe ! Ici, il faut s'amuser. La Belle Epoque ne se soucie pas de batailles : le jeu, le plaisir, la fantaisie, le soleil : voilà tout ce qui compte.

Et à mesure que Monaco, ce petit promontoire caillouteux il y a encore si peu d'années grandit et fleurit d'un luxe inouï et insolent, c'est toute une population richissime et bigarrée qui afflue : Princes et Empereurs européens, gens de Lettres ou plumitifs,  danseurs, chanteurs, peintres, musiciens, philosophes, journalistes, artistes de tous poils, célèbres, en devenir ou tout simplement dans l'âme, intriguantes, belles cocottes en quête d'un heureux mariage, toqués du tapis vert ou encore milliardaires anonymes s'entrecroisent en un somptueux et insolent ballet de crinolines et de soies froufroutantes sous les ors et le faste orchestré par le couple Blanc, faisant la gloire et le renom de la cité monégasque, point d'orgue désormais de ce qu'on nommera bientôt "la French Riviera"...

Bernard Spindler nous offre le récit de la naissance de Monaco, ses premiers frémissements, les difficultés à faire émerger de cette terre  aride un vaisseau luxueux ,sur fond de Guerre (de Crimée et de Prusse), étayant son récit d'une radiographie historique, sociale et politique qui rend cette période, toute en contrastes, à la fois attachante, folle, décadente, trouble aussi, mais toujours pleine de vie et d'espoir.

Jeux de dames à Monte-Carlo, de Bernard Spindler (éd. du Rocher, 224 pages, mai 2013)

Pam Baileys

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